Le designer qui combine simplicité scandinave et précision suisse
©Nicolas Schopfer
Les créations de Søren Henrichsen traduisent ses racines.
D’un côté le Danemark, d’où il emprunte et retranscrit avec brio le design à la beauté épurée et aux lignes sans concession. De l’autre la Suisse, d’où il aurait pu tirer cette même rigueur et « naturalité » de style, mais où il a préféré s’inspirer de ses symboles, à l’instar du coucou. Rencontre avec un créateur qui a su parfaitement conjuguer minimalisme et esthétique, tout en apportant la juste touche d’originalité.
Lorsque l’on interroge Søren sur l’origine de sa passion pour le design, l’on comprend assez rapidement que celle-ci s’est d’abord construite de manière inconsciente. C’est à une accumulation d’images, de ressentis, d’expériences vécues que le designer fait tour à tour référence, comme s’il tentait lui-même d’y trouver un chemin. « Je me souviens des pièces de design danois de la Summer House de ma grand-mère au Danemark où je me rendais durant l’été. Du mobilier qui ne s’exportait à cette époque que très peu, loin de la tendance du design danois que l’on connaît aujourd’hui. J’y appréciais les formes, mais aussi et surtout l’esprit derrière la démarche purement stylistique : l’importance donnée à la valorisation des meubles, au transfert entre générations, à cette notion de durabilité. Tout cela étant fait de manière totalement naturelle, tant ce type de démarche s’inscrit dans l’ADN du pays. »
Et alors que d’autres feraient référence à des grands noms du design comme inspiration première, il nous raconte l’histoire de la marque danoise FDB Møbler, qui avait fait le pari dans les années 50 de démocratiser de grandes pièces du design danois à petit prix en les distribuant dans des supermarchés. « Il y avait chez mes grands-parents certaines de ces pièces iconiques, intemporelles. Car peu importe finalement le prix vendu, la démarche était la même : construire des choses faites pour durer dans le temps. »
©Nicolas Schopfer
Se confronter au terrain pour nourrir et construire son style
Master de finance internationale en poche, Søren passe rapidement par une école de design « pour ne pas avoir de regrets », mais comprend très vite qu’il a davantage besoin de « faire » que de « savoir-faire ». Novice si l’on s’en tient uniquement au cursus académique de designer, il trouvera des soutiens et conseils hors des citadelles universitaires en se confrontant directement au terrain. « Dès le départ, mon ambition était de produire durablement, mais aussi localement. Il m’a donc fallu aller directement à la rencontre des artisans. C’est comme cela que j’ai appris, via la confrontation entre leurs limites et habitudes – en termes de fabrication – et mon propre idéal esthétique de designer dans la manière dont j’envisage le produit fini. À partir de là, il s’agit de trouver un compromis, d’échanger. C’est comme cela que j’évolue chaque jour, je reste convaincu que l’on est toujours meilleur en travaillant à plusieurs. »
L’une de ses rencontres l’amène à occuper pendant un temps un atelier de menuisier à Châtelaine, lui permettant ainsi de donner vie à ses premiers prototypes, puis à ses premières pièces : coucous et porte-clés. « Toute cette aventure, c’est en grande partie une question de rencontres avec les bonnes personnes au bon moment. Le marché, la vente, les marges, autant de choses que l’on n’apprend pas sur les bancs de l’école, et qui sont pourtant fondamentales lorsque l’on se lance en tant qu’indépendant. » Car le design, tout comme l’art ou l’architecture, aussi noble soit-il, n’échappe pas à ces mêmes logiques entrepreneuriales.
En quelques mois, les ventes décollent, (re)posant la question de la fabrication. Tout faire lui-même n’est plus possible. Le choix se porte sur un atelier de production adaptée de la Fondation Sgipa, garantissant ainsi cette empreinte locale si chère au designer
©Nicolas Schopfer
Du coucou design aux portes-clés, l'esthétique scandinave se met en scène sans aucune fausse note
Parmi les premières pièces conçues par Søren figure le fameux coucou. Un choix audacieux, né de l’amour un brin désuet du designer pour cette pièce iconique de la Suisse. « J’ai toujours aimé le coucou et je trouvais intéressant de le réinterpréter, de lui donner ce côté design qui semble si antinomique avec l’apparence originelle de cet objet. J’ai donc décidé de l’épurer au maximum, en ne gardant que les éléments essentiels à son usage et qui permettent de le reconnaître en un coup d’œil, même revisité. » Et en effet, tout est là. La petite maison, l’horloge, l’oiseau, et le fameux mécanisme d’entrée et de sortie de ce dernier à chaque heure fixe. Le design est épuré, rendu à son plus simple appareil. Une interprétation parfaitement maîtrisée des codes du design danois, jusque dans la palette de coloris où seul un vert pastel récemment ajouté à la gamme
« twiste » une gamme où l’épure est de mise. Cette année, deux coucous se sont invités à l’ONU New York, grâce à Présence Suisse qui après en avoir acheté certains modèles a décidé de les exposer dans le bureau de la présidence suisse du Conseil de sécurité. L’une donne l’heure de Genève et de Berne, l’autre celle de New York.
Cette esthétique scandinave, Søren la distille à d’autres objets du quotidien aussi bien fonctionnels que purement décoratifs. On pense à ces porte-clés en bois auxquels on aimante les clés, aux bougeoirs en fonte à double usage, ou encore à la « Freedom Clock » dont on peut cacher le cadran lorsque l’on veut s’octroyer une pause hors du temps.
©Nicolas Schopfer
Les créations s’exportent jusqu’au Japon, en Malaisie, en Californie, certaines sont exposées dans la boutique du Centre Pompidou de Paris et chez Teo Jakob en Suisse. Et les projets ne manquent pas, à l’instar de la collaboration avec QOQA de coucous cocréés avec les utilisateurs de cette plateforme en édition limitée.
Plus qu’un designer, Søren Henrichsen est un véritable « artisan du style », s’imposant discrètement comme une figure reconnue du design suisse et scandinave.